Promenade dans les bois, avec mon chien ce matin. Seul le chant des oiseaux et le bruit de nos pas… extatique silence!!
Des moments de sérénité comme celui-ci sont rares au quotidien, même pour les habitants de zones rurales. Le bruit nous envahit, que ce soit du fait des voitures, des avions, ou de la musique du facteur lors de sa tournée quotidienne.
Mais pourquoi le silence est-il si important?
Le silence, cette denrée précieuse, est nécessaire au bon fonctionnement de notre organisme et de notre psychisme. Lors d’une étude réalisée en 2001 (1), des souris ont été exposées à divers types de sons et de silence, afin d’en évaluer les effets sur le cerveau. Les résultats ont étonné les chercheurs. En effet, ils ont découvert que lorsque les souris étaient exposées à 2 heures de silence par jour, la structure de leur cerveau se modifiait: de nouvelles cellules étaient créées au niveau de l’hippocampe. Or cette région du cerveau est associée à la mémoire, aux émotions et aux apprentissages. Plus précisément, ces nouvelles cellules générées sont en réalité des neurones actifs, et s’intègrent dans le système.
Dans les années 50, des épidémiologistes ont découvert une corrélation entre l’hypertension et des sources de bruit tels que la proximité d’un aéroport. Et depuis peu le bruit est associé à l’insomnie, aux problèmes cardiaques et aux acouphènes. Aujourd’hui nous parlons de pollution sonore, qui est considérée en Suisse comme la 2ème source de nuisance.
Par ailleurs,il a été avéré que le bruit génère un niveau élevé d’hormones du stress selon le mécanisme suivant:
Le bruit crée des ondes sonores sous forme de signaux électriques qui sont détectés par l’oreille. Celle-ci les transmet alors au cerveau. Ce mécanisme fonctionne même lorsque le corps est endormi. Ce dernier réagit ainsi à ces signaux car il s’agit là d’un mécanisme de survie.
Ceci peut avoir des conséquences lourdes sur le développement des enfants et leur santé en général:
Une étude menée en 2002 (2) sur des enfants vivant à proximité de l’aéroport de Munich a démontré un développement généralement retardé dans les compétences cognitives, du langage, et de la lecture, la mémoire à long terme. Cette étude va même plus loin en démontrant que non seulement les enfants finissent par ignorer le bruit des avions, mais aussi les paroles qui leurs sont adressées. De plus ces enfants souffrent de pression sanguine plus élevé que la moyenne et ont un taux plus élevé de cortisol et d’adrénaline (hormones du stress) que des enfants vivant dans un milieu plus calme. Enfin il existe des preuves que ces effets néfastes se répercutent sur la santé de l’enfant une fois arrivé à l’âge adulte, où des troubles graves tels qu’hypertension, problèmes cardiaques, ou encore un taux de cholestérol élevé peuvent se développer.
A tel point que cela devient aujourd’hui un enjeu environnemental, dans un monde ou les aéroports, routes, voies ferroviaires, et autres turbines se rapprochent dramatiquement des lieux résidentiels…
Le silence est-il l’absence de bruit?
Peut-on réellement définir le silence par l’absence de bruit? Ce dernier est, selon le psychiatre Jacques Vignes, physiologiquement impossible. Si nous nous trouvons dans un univers totalement dépourvu de bruits extérieurs, nous entendrons toujours un bruit intérieur inhérent au fonctionnement de notre organisme. De plus, au brouhaha extérieur vient s’ajouter le bruit de nos pensées. Si nous ne pouvons souvent que subir le premier, nous pouvons apprendre à maitriser voire faire totalement taire le second.
Ainsi le silence intérieur est avant tout une intention qui ne dépend que de nous plutôt qu’un fait qui nous provient du monde extérieur. Ce silence est un choix conscient, une posture, une décision que nous prenons à un moment donné.
Swami Sivananda préconisait à tout yogi de garder 2 heures de silence par jour, afin de pouvoir trouver la paix intérieure. Garder le silence non seulement évite de gaspiller de l’énergie, mais permet d’en accumuler (plus d’ojas selon la tradition ayurvédique).
En fait, le silence, c’est:
Un exercice de contemplation:
Faire taire ses pensées et ses émotions permet de voir le monde tel qu’il est réellement. Ce n’est que grâce au silence que nous pouvons lever le voile du jugement, qui déforme bien souvent la réalité. Ainsi, nous pouvons mieux profiter des choses qui se passent dans notre vie afin d’en retirer de la joie. Le silence nous permet de percevoir les choses qui nous entourent avec plus de clarté et plus d’acuité.
Le retrait en soi-même:
Faire silence, c’est aussi se retirer en soi-même, créer de la place pour ce qui est vraiment important. Se retrouver face à soi-même peut être effrayant, mais c’est aussi l’occasion de faire une belle rencontre avec son âme. Avant d’avoir mes enfants, je pratiquais la marche en haute montagne avec mon père. La contemplation du paysage finissait toujours par laisser la place à un silence intérieur que seuls les efforts intenses savent créer. Et là soudain, se trouve un espace grand comme le Cosmos, où toutes les limites s’effacent, où tout devient possible. C’est dans ces circonstances que j’ai pris les décisions les plus importantes de ma vie. Celles qui ont changé le cours de mon existence à tout jamais. Ces moments intenses sont gravés dans ma mémoire, Et pourtant… il m’est impossible de vous dire la date et l’heure exacte où cela s’est produit. Par contre je peux vous dire quel sommet je gravissais, qui étaient mes compagnons de route, et quel était le paysage à ce moment-là. Rien de tout cela n’aurait été possible sans ce silence intérieur…
Une meilleure écoute:
Cet espace intérieur laisse aussi de la place à l’autre. Il nous permet d’entendre vraiment ce que notre interlocuteur a à nous dire. Il fait taire notre égo, qui vient normalement interférer avec des projections, des attentes, des jugements. Car nous oublions souvent que communiquer c’est tout écouter et pas nécessairement parler … Si nous avons deux oreilles et une bouche, c’est bien pour écouter deux fois plus que nous ne parlons!
Un mode de transmission:
Ce mode de communication est aussi très important dans le processus d’enseignement. Lors de ma formation de professeur de yoga, nous avons été exhortés à devenir des « professeurs et non des prêcheurs ». Et en effet, la tentation est grande lorsque nous voulons transmettre quelque chose à nos enfants, à nos élèves, apprentis, collègues… de parler beaucoup, de raconter, et d’expliquer encore et encore. Mais finalement, à force de vouloir donner des informations, l’essentiel est noyé dans la masse… Et cela est pire encore lorsque nos discours sont contredits par nos comportements. Voilà pourquoi nous devons nous focaliser sur notre attitude plus que sur notre discours.
Une preuve d’humilité:
Le silence c’est aussi faire preuve d’humilité. Ne pas réagir, ne pas montrer que l’on sait, que l’on a compris ou que l’on a quelque chose à dire. C’est ainsi que trop souvent nous nous retrouvons empêtrés dans des discussions (ou des disputes) que nous n’avons pas souhaité et dont nous ne savons pas comment sortir. Notre ego nous pousse à vouloir démontrer que nous savons mieux que l’autre, que nous parlons plus fort, que nous avons fait, lu, vu plus de choses… Et pourtant qu’est-ce que tout cela dit de nous? Pas grand chose à vrai dire, à part que nous avons besoin de nous montrer plus grand que la personne en face de nous pour déterminer notre valeur. Or notre vraie valeur, nous ne pouvons la déterminer qu’en regardant à l’intérieur de nous, avec humilité, avec honnêteté, avec respect, et loin de tout jugement … c’est à dire dans le silence.
Un mode d’apprentissage:
Un jour, un aspirant s’adressant à son maitre lui demande: « Maître qui est Brahman, cet Absolu, cet Infini dont les textes parlent? ». Le Maitre ne répondit rien, se contentant de garder le silence. L’aspirant continua jour après jour à lui poser la question, et le Maitre restait silencieux. Bien plus tard, ce dernier dit enfin à son élève: « Je t’ai répondu, encore et encore, mais tu n’as pas été capable de comprendre: Brahman, l’Absolu, l’Infini ne peut être expliqué par des mots ». Cette parabole illustre bien à quel point il y a parfois des choses que l’on ne peut expliquer, mais qu’il faut ressentir, ou comprendre avec sa seule intuition… car seul le silence permet de trouver la Paix intérieure.
Dans la pratique yoguique, il est recommandé de pratiquer Mauna (le silence), quotidiennement. Il s’agit de s’astreindre volontairement au silence (extérieur, mais aussi intérieur) sur une durée déterminée, afin de reposer l’esprit. Au delà du silence en tant que tel, c’est l’usage de la parole de manière générale qui est repensé: Swami Sivananda disait:
« Sélectionnez soigneusement vos mots avant de parler, pensez-y à trois fois avant de dire quelque chose. Considérez les effets de vos paroles sur les sentiments d’autrui. (…) Ne discutez pas inutilement, chaque personne a ses propres point de vue, opinions, idées, sentiments, croyances et convictions. N’essayez pas de convaincre les autres. »
Lorsque la parole se calme, le mental s’apaise, et l’introspection devient alors possible…
Om Namah Shivaya
(1) 2013 Imke Kirste étude sur des souris dans la revue Brain, Structure and Function (2) 2002 Gary W. Evans revue « Psychological Science (Vol. 13, No. 9) Et pour aller plus loin: Temps présent du 25.01.2018: « Le Bruit qui rend fou ».
Excellent